samedi 24 septembre 2011

1ère Séance de catéchèse

Ce matin cinq enfants âgés de trois à neuf ans se sont retrouvés pour découvrir et vivre leur première journée au sein du petit Atrium. La séance aura durée deux heures. Le temps est passé vite. Voici en quelques séquences notre matinée catéchétique.

Introduction à la vie dans l'Atrium
Les enfants se sont rassemblés autour d'une petite table après avoir enlevés leurs chaussures. Nous leur avons expliqué ce que nous faisons dans l'atrium et les règles à respecter ensemble pour que chacun puisse écouter et travailler sereinement: marcher sans faire de bruit, parler doucement et faire attention au matériel.
J'ai alors rejoint la pièce dédiée à l'Atrium d'où je les ai appelés l'un après l'autre par leur prénom.

Présentation des couleurs liturgiques 
Avant de commencer la première présentation, je leur ai montré le matériel catéchétique en leur indiquant qu'ils pourraient l'utiliser progressivement à mesure qu'il leur aura été présenté. Je leur ai ensuite expliqué comment et avec quoi ils pourraient travailler après chacune des présentations (fabrication de livrets, découpage, collages). 

Ce matin la première présentation de l'année a été consacrée aux couleurs liturgiques. A l'aide des chasubles, nous avons  regardé les quatre couleurs liturgiques fondamentales ainsi que leur signification. Pendant les vingt minutes de présentation un silence profond a rempli la pièce. Après les enfants ont pu répondre à quelques questions et poser les leurs.

Temps de travail
Les enfants ont ensuite pu choisir leur matériel pour réaliser différents travaux autour des couleurs liturgiques. Les plus petits ont fait le puzzle, des découpages et des activités de la vie pratique. Les plus grands eux ont réalisé des activités plus techniques: calligraphie, affichettes avec les quatre couleurs, affichettes avec les chasubles. 
Ce temps est passé très vite pour les enfants qui ont ensuite rangé tout leur matériel lorsque la petite clochette a retenti.

 


Procession et installation du coin prière 
Pour clôturer cette première matinée nous avons installé le coin prière. Nous avons alors formé une petite procession chacun avec un objet destiné à le garnir: petite croix, cierges, et image du Bon Berger.Nous avons orné ce lieu de recueillement en chantant: "Quand naît la lumière, quand s'éteint le feu du jour, célébrons par nos chants le Seigneur (issu du psaume 113). Un enfant a ensuite lu le verset évangélique suivant : "Laissez venir à moi les petits enfants".  Et puis quelques instants de silence avant de profiter du jardin et des lapins....

mardi 13 septembre 2011

Catéchèse du Bon Berger

Ce blog est destiné à faire connaître la pédagogie religieuse développée par Maria Montessori et approfondie depuis à travers le monde grâce aux travaux notamment de Sofia Cavalleti et d'autres pédagogues s'inspirant de la même approche. Nous partagerons nos recherches ainsi que l'expérience naissante au sein du petit Atrium que nous ouvrons.

Cette approche catéchétique, s'enracine à la fois dans la Tradition et dans l'anthropologie de Maria Montessori, puisant aux sources mêmes de Bible et de la Liturgie.

A l'aide d'un matériel spécifique, les enfants sont amenés à explorer le contenu de la Révélation par des présentations qui répondent à leur stade de développement. L'Atrium est ainsi un lieu destinée à l'épanouissement de leur vie spirituelle.
Dans cet  environnement adapté et approprié, que Maria Montessori a baptisé d'Atrium en voulant faire écho à l'antiquité chrétienne, les enfants travaillent sur les grands thèmes suivants:
- La vie du Christ
- Le Royaume de Dieu
- Le plan de Dieu
- La Liturgie
- La vie en Jésus-Christ à travers les paraboles et les maximes bibliques
- La Sainte Bible

L'originalité de la pédagogie de Maria Montessori dans le domaine religieux n'est pas moins frappante que le reste de son œuvre. Comme le Maître de l'Evangile, elle reconnaît aux enfants une réelle aptitude religieuse. Non seulement l'enfant est capable de Dieu. Mais, il est aussi un guide pour l'adulte qui cherche à participer à l'avènement du Royaume. " L'enfant est une entité humaine ayant son importance en lui-même; il n'est pas juste une transition sur le chemin qui mène à l'âge adulte. Nous devrions considérer l'enfant et l'adulte comme deux parties différentes de l'humanité qui devraient s'interpénétrer et travailler ensemble dans l'harmonie d'une aide mutuelle. Par conséquent, ce n'est pas seulement l'adulte qui doit aider l'enfant, mais c'est aussi l'enfant qui doit aussi aider l'adulte".
Ces mots de Maria Montessori sont un éclairage lumineux concernant le message du Christ sur l'enfance. En développant sa pédagogie religieuse, elle a pu expérimenter combien la vie religieuse de l'enfant peut  réellement enrichir et illuminer toute la communauté humaine.

Le potentiel religieux de l'enfant nous intrigue. Il nous questionne. Il nous provoque même d'une certaine manière. Aux côtés des plus petits nous voulons traverser l’Histoire du Royaume de Dieu. En côtoyant leur joie et  leur simplicité nous espérons approcher mieux encore la réalité du Royaume puisque leurs pas sur terre sont aussi appelés à guider les nôtres: "Si vous ne devenez pas comme des petits enfants..."

lundi 12 septembre 2011

Les vêtements du prêtre

Le meuble de rangement:


Un tiroir avec les ornements:
 

Un modèle de chasuble:
Les ornements du prêtre:


Présentation de l'autel

Le matériel de présentation:

L'autel

Les deux cierges, la croix, le porte-missel, le calice et la patène recouverts du voile de calice

Les cartes pour calquer, qui sont aussi pour là l’acquisition du vocabulaire chez les petits

La pochette (c'est la première partie, une deuxième pochette avec d'autres objets vient plus tard) 

L'autel et la nappe d'autel

Les éléments sur l'autel: croix, bougies, calice et patène

dimanche 11 septembre 2011

Les couleurs liturgiques

Affiche des couleurs liturgiques

Modèle pour un collage avec un modèle pour faire les carrées

Livret pour calquer et assimiler le vocabulaire
 

Boîte pour des collages

Puzzle des couleurs liturgiques


Voici UN LIEN avec l'explication des couleurs liturgiques

mercredi 7 septembre 2011

Vers une Théologie de l'Enfance?

Depuis l’époque de Maria Montessori, la pédagogie religieuse a connu de grands développements. De nombreux travaux scientifiques sont venus souligner et expliciter la dynamique spirituelle des enfants. Aujourd’hui, la recherche semble rejoindre les grandes intuitions de Maria Montessori. On voit se dessiner progressivement une théologie de l’enfance qui trouve ses racines dans la Révélation. Certains passages de l’Evangile reçoivent un éclairage nouveau dont la spiritualité des adultes pourrait même tirer partie. Qu’en est-il exactement ?

Le XXème siècle a vu naître des approches pédagogiques fondées sur des données anthropologiques et expérimentales. L’observation de l’enfant et de son développement devient essentielle dans la réflexion pédagogique. L’œuvre de Maria Montessori en est l’un des plus grands témoignages. Sofia Cavalletti rapporte dans ses ouvrages la profonde expérience spirituelle et la riche conscience théologique des enfants avec qui elle a travaillé. D'autres études scientifiques se sont intéressées spécifiquement à la question de la spiritualité des enfants. On trouve ces études notamment dans la littérature anglo-saxonne. Parmi elles, un ouvrage écrit par Rebecca Nye a fait date. Il s’agit de « Children’s spirituality ». Utilisant les critères de la méthodologie scientifique pour interviewer des enfants, R. Nye est arrivée à l’idée que la spiritualité est une des caractéristiques de cette période de la vie.

Que faut-il entendre par spiritualité des enfants ?
Dans son ouvrage, R. Nye livre une première définition de synthèse suite à ses nombreuses études. « La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie. Cette conscience peut être ressentie ou pas, mais dans les deux cas, elle influe sur les actions, les sentiments et les pensées. Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que soi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, et à la création. Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des expériences ou des moments spécifiques aussi bien qu’à travers une activité imaginative ou réflexive » (p.6)
Cette définition fait apparaître plusieurs éléments qu’il est possible de mettre en relation avec la Tradition chrétienne. Tout d’abord, une connaissance naturelle de Dieu notamment par ses œuvres est possible. Une expérience intense de la vie permet à l’enfant de se mettre en lien avec ce qui la transcende. Ce contact avec ce que la vie révèle en ses profondeurs se traduit par une disposition spirituelle qui anime les actions quotidiennes de l’enfant. Autrement dit, pour l’enfant la spiritualité est une sorte de « contemplaction » par laquelle son admiration donne souffle à son agir. L’enfant semble ainsi échapper à la dissonance que connaissent les adultes pour qui la spiritualité est parfois une parenthèse dans la vie quotidienne. Enfin, la spiritualité de l’enfant met en lumière la dynamique de l’appel et de la réponse qui tisse la relation transcendantale. De ce point de vue la révélation du Buisson Ardent et la réponse de Moïse (Me voici !) sont archétypales de la démarche spirituelle de l’enfant. On comprend alors toute la valeur de la parabole du Bon Berger telle que la situe Sofia Cavalletti dans son œuvre catéchétique. Le Bon Berger appelle chacune des brebis par leur nom. L’enfant se sent ainsi comme une brebis connue et reconnue. Il peut alors répondre librement à cette invitation merveilleuse. Nous voilà bien au cœur de la Révélation chrétienne.

Que faut-il comprendre de l’enfant pour accompagner son développement spirituel ?
Il n’est pas toujours évident pour l’adulte d’accompagner la croissance spirituelle de l’enfant tant son modèle psychique est différent du nôtre. Pour y parvenir il faut le comprendre, c'est-à-dire apprendre à voir avec son regard les réalités qu’il perçoit. R. Nye donne quelques clés dans son ouvrage pour aider l’adulte à s’approprier ce regard de l’enfant :
«  Les enfants ont une façon plus holistique de voir les choses. Ils ne les analysent pas autant, si bien que leur perception a un caractère plus mystique.
Les enfants sont particulièrement ouverts et curieux. Aussi ont-ils une capacité naturelle d’émerveillement.
La vie émotionnelle des enfants est au moins aussi forte que leur vie intellectuelle. Aussi savent-ils ce que c’est de s’abandonner à des forces qui transcendent leur contrôle.
Les enfants manquent de connaissances sur beaucoup de choses. Pour eux, le mystère est une réalité profonde, généralement non menaçante, amicale et ils y répondent par un respect et une recherche de sens dans tous leurs jeux quotidiens.
Les enfants acceptent que leurs mots ne suffisent pas à décrire pensées et sentiments. Aussi savent-ils que la valeur et l’importance réelle dépassent ce qui peut être dit. Ils se sentent à l’aise dans l’ineffable, l’indicible » (p.8).
On comprendra ici que ce qui semble faire la faiblesse des enfants (expression rationnelle limitée) fait en réalité leur force spirituelle. Leur capacité spirituelle est certainement plus adaptée que celle des adultes à la révélation d’une réalité transcendante qu’aucun mot humain ne pourra jamais circonscrire. Comme-ci l’indicible était naturellement la demeure des enfants. Et la Révélation la réponse à une attente naturelle chez les plus petits d’entre nous.
Pour accompagner les enfants, il importe donc de créer les conditions d’une expérience religieuse et non pas seulement de délivrer un simple contenu conceptuel dont l’enfant ne pourra pas faire sa nourriture. C’est toute la force de la parabole du Bon Berger, et de la présentation que l’on peut en faire, qui propose à chacun de répondre à l’appel qui lui est fait afin de tisser une relation unique avec Lui.
Maria Montessori a insisté à plusieurs reprises sur la complémentarité réelle entre adulte et enfant pour la croissance du Royaume et de l’Eglise. Les données expérimentales et scientifiques apportent certainement un éclairage important aux paroles de Jésus sur lesquelles nous reviendrons par la suite. Elles tendent à montrer combien les expériences religieuses de l’enfance sont essentielles dans le développement de la spiritualité adulte. Si bien que les paroles rapportées dans l’Evangile pourraient réellement fonder le développement d’une Théologie de l’enfance pour éclairer la filiation divine que Dieu propose à tout homme.

Vers une Théologie de l’Enfance ?
La question peut surprendre. Les paroles de Jésus de Nazareth sur l’enfance suscitent souvent l’incompréhension ou se limitent encore à quelques considérations sur l’humilité qui la caractériserait. Toute la difficulté vient du contraste entre la puissance des propos de Jésus sur l’enfant et l’absence de définition qu’il en donne. Pour réellement approcher le sens de ces paroles il nous invite implicitement à regarder les enfants pour mieux saisir la nature du Royaume auquel il nous convie. Jésus nous présente en effet l’enfant comme une parabole de la vie en son Royaume : « si vous n’êtes pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ». Phrase étonnante qui semble nous ramener à l’essentiel. Jésus invite ses disciples à saisir quelque chose du Royaume à travers ses paraboles aussi simples que saisissantes. Toutes nous renvoient à une réalité de la terre dont la dynamique peut nous aider à comprendre comment se forme le Royaume. Mais, il ne suffit pas de saisir ces rapprochements, il  faut s’en saisir à la manière des petits enfants jusqu’à « devenir» comme eux….
Le contact avec les enfants semblent donc être d’une portée capitale pour mieux situer la filiation divine que le Christ nous propose. L’enfant n’est pas qu’un adulte en devenir. Il possède une « physionomie » psychique spécifique dont la manifestation peut certainement nous aider à mieux comprendre les paroles de Jésus.
L’information que nous a donnée Jésus s’appuie sur cette réalité que l’enfant a un « style » de vie différent de celui des adultes. D’un point de vu spirituel, cela renverse les perspectives. L’adulte peut apprendre de l’enfant. Si l’on veut rester au plus proche du texte évangélique, il faut même voir la présence de l’enfant comme un véritable enseignement spirituel. R. Nye résume cet enseignement de la façon suivante : « la spiritualité dans l’enfance, c’est la manière d’être des enfants avec Dieu et de Dieu avec eux »
Maria Montessori est l’une des premières pédagogues à avoir mis en lumière par ses expériences la spécificité spirituelle de l’enfant. Sans avoir développé de Théologie en tant que telle, ses expériences ont contribué à rendre visible la dynamique de croissance spirituelle des enfants. Pour elle la finalité ultime de son approche pédagogique, c’est le déploiement spirituel inscrit en chaque être humain. Ses travaux de pédagogie religieuse montrent que les enfants sont capables de participer à la grande prière de l’Eglise comme à la lectio divina des textes sacrés. Les développements ultérieurs qui connaissent à l’heure actuelle de magnifiques approfondissements sont une occasion pour les familles de former une véritable Ecclesia Domestica dans laquelle adultes et enfants se nourriront ensemble d’une expérience biblique et liturgique partagée. Si l’on sait y prêter attention, les enfants sont capables d’expressions religieuses dignes des écrits sur la Sagesse ou de la prière psalmique. 

Quelle est l’information que contiennent les paroles de Jésus sur l’Enfance ?
Les paroles de Jésus sur les enfants sont concises et fortes. Elles ne font pas l’objet d’un quelconque développement. Mais elles sont une invitation incontestable à voir l’enfant comme porteur d’une sagesse spirituelle. Y aurait-il chez les enfants un « mode d’être » dont nous aurions perdu le souvenir en devenant adulte ? Qu’avons-nous à ce point oublié de l’enfance qui nous rende impossible l’accès au Royaume de Dieu (« Si vous ne devenez pas comme des petits enfants »…) ?
Reprenons une à une ces paroles fondamentales que nous rapporte l’Evangile comme le fait très justement Jérôme W. Berryman dans le premier tome d’introduction à sa pédagogie religieuse. Elles sont au nombre de huit. Rapprochées les unes des autres, elles forment un véritable enseignement spirituel. 

1ère message : « Celui qui se fera petit »
« Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, c’est celui-là qui est le plus grand dans le Royaume des cieux. Et celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille. Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux » (Mathieu, 18, 1-5).
« Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu’il fut dans la maison, Jésus leur demanda : De quoi discutiez-vous en chemin ? Mais ils gardèrent le silence, car en chemin ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Alors il s’assit, appela les douze, et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous les serviteurs de tous. Et il prit un petit enfant, le plaça au milieu d’eux, et l’ayant pris dans ses bras, il leur dit : « Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-même, et quiconque me reçoit, reçoit non pas moi, mais celui qui m’a envoyé » (Marc, 9, 33-37)
« Or, une pensée leur vint à l’esprit, savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Jésus voyant la pensée de leur cœur prit un petit enfant, le plaça près de lui, et leur dit : « Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant me reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand » (Luc, 9, 46-48)
Ces textes font apparaître plusieurs éléments qui peuvent nous permettre de préciser la valeur spirituelle des dispositions psychiques de l’enfance. Jésus intervient ici pour répondre à une interrogation  des disciples. Savoir « qui est le plus grand » ? Autrement dit qui a le plus de pouvoir. Comme à son habitude, Jésus donne une réponse qui ouvre une réflexion. Ici il place un petit enfant au milieu des disciples. Car l’enfant encore jeune cherche à être en relation plutôt qu’à avoir le pouvoir. L’enfant ne recherche pas la place d’honneur mais simplement sa place dans la communauté humaine. L’adulte en revanche cherche souvent à faire de la place autour de lui… Jésus, après son baptême et avant de commencer son ministère, affrontera dans le désert cette tentation du pouvoir (possession des royaumes du monde). Pour vaincre cette tentation, Jésus nous invite à regarder la relation que les enfants ont avec leur entourage et leur environnement. Un deuxième point important concerne l’identification que Jésus fait entre l’accueil d’un enfant et l’accueil que l’on pourrait lui faire. Accueillir un enfant, c’est accueillir Jésus lui-même. A nouveau le propos est autant puissant que simple. Il laisse entendre que la vie au contact des plus petits est une occasion unique et privilégiée de tisser une relation avec lui. Le contact avec eux est une aide pour se préserver d’un certain orgueil de la vie. Enfin, Jésus semble leur reconnaître une faculté spirituelle spécifique lorsqu’il affirme que leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de son Père. Cette parole nous ramène à cette disposition spirituelle toute particulière qui semble caractériser la période de l’enfance. Les recherches mentionnées plus haut font état de réactions des enfants tout à fait étonnantes en matière religieuse.

2ème message : « Laissez-venir à moi les petits enfants… »
« Alors des gens lui amenèrent des petits enfants afin qu’il pose les mains sur eux et prie pour eux. Mais les disciples leur firent des reprochent. Jésus dit : « Laissez les petits enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Mathieu 19, 13-15).
« On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le Royaume de Dieu à la manière d’un petit enfant n’y entrera pas. Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains » (Marc, 10, 13-16).
« On lui amena aussi les petits enfants afin qu’il les touchât. Mais les disciples, voyant cela, reprenaient ceux qui les amenaient. Et Jésus les appela et dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez pas car le Royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » (Marc, 18, 15-17).
Les disciples s’interposent entre Jésus et les enfants qu’on lui amène. La réaction est vive. L’enfant n’est pas moins intéressant que l’adulte aux yeux de Jésus. Il est même porteur d’une information importante sur le chemin qui mène au Royaume. Le message de Jésus n’a rien de romantique. Il ne souligne pas ce qu’il y a de sympathique et de naïf en eux. Il affirme simplement, encore une fois, que pour accueillir le Royaume il est nécessaire de ressembler aux petits enfants. L’homme créé à l’image de Dieu est invité à leur ressembler. C’est là le tout le programme de la divinisation manifestée de façon particulière lors de la Transfiguration. Cette métanoïa divine, d’après les mots mêmes de Jésus, passe par la ressemblance avec les petits enfants. Pour approcher l’Indicible Présence leurs limites linguistiques et rationnelles sont finalement un avantage. Là où nos raisonnements élaborés nous égarent souvent, leur intuition sans détour atteint la Source de toute chose. Le langage humain est parfois un instrument au service du pouvoir et du paraître. C’est dans le silence du désert que Jésus met un terme aux manipulations diaboliques. La rencontre avec Dieu se situe au-delà de toute formule conceptuelle. La seule connaissance verbale n’est pas suffisante pour instaurer une vraie relation. L’amour est bien au-delà des mots. C’est ce que savent les enfants…d’un savoir certain ! Le lâcher-prise verbal conditionne la rencontre… 

3ème  message : « Ne les scandalisez pas… »
« Mais si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât une meule au cou et qu’on le jetât au fonds de la mer » (Mathieu 18, 6).
« Mais si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mît au cou une grosse meule de moulin, et qu’on le jetât dans la mer » (Marc, 9, 42).
« Puis il dit à ses disciples : Il est impossible que les scandales n’arrivent pas, mais malheur à celui par qui ils arrivent ! Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une pierre à moudre et être jeté à la mer que de scandaliser un seul de ces petits » (Luc, 17, 1-2).
L’enfant est aux yeux de Jésus porteur d’un message fondamental pour la vie spirituelle de tout être humain. Si les paroles de Jésus sont fortes pour manifester clairement le modèle de vie que représentent les enfants, elles ne le sont pas moins lorsqu’il s’agit d’avertir ceux qui pourraient être tentés de « mettre des obstacles » (traduction grec de scandale) sur leur chemin. Maria Montessori s’est longuement exprimée sur les nombreux obstacles culturels et sociaux qui pendant des siècles ont empêché de porter un regard juste sur l’enfant et de reconnaître l’ensemble de ses besoins psychiques. En posant ces obstacles, il devient impossible de connaître l’enfant. Et si cette rencontre avec l’enfant ne peut se faire, le message dont l’enfant est porteur devient inaccessible…

4ème message : « devenir comme des petits enfants »
« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matthieu, 18, 3).
« Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point (Marc, 10, 15)
« Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point  (Luc, 18, 17).
Le message peut surprendre. La vie spirituelle est à ceux qui deviennent comme des petits enfants. Le Royaume des cieux ne peut se réaliser sans ce mode de vie propre aux enfants. Le psychisme des enfants est tourné vers la vie. Ils n’ont de cesse que de vouloir découvrir et s’émerveiller. Ils ont des yeux qui voient et des oreilles qui entendent. Tous leurs sens sont en action pour capter les profondeurs de la vie. Leur passion pour le jeu de « cache-cache »  témoigne inlassablement de leur désir de rencontrer une présence « cachée ». Joie de chercher, joie de trouver, joie d’être cherché et joie d’être retrouvé…L’invitation de Jésus est paradoxale. Elle heurte notre raison d’adulte. Et ce d’autant plus que pour comprendre ce que les enfants peuvent nous enseigner, il nous faut nous-mêmes adopter leur « dispositif » psychique.

5ème message : « Nous avons joué et vous n’avez pas dansé »
« A qui donc comparerai-je les hommes de cette génération, et à qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent aux enfants assis dans la place publique, et qui, se parlant les uns aux autres, disent : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ; nous nous avons chanté des complaintes et vous n’avez pas pleuré. Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dîtes : Il a un démon. Le Fils de l’Homme est venu, mangeant et buvant, et vous dîtes : C’est un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Mais la sagesse a été justifié par tous ses enfants ». (Luc, 7, 31-35).
«  Mais à qui comparerai-je cette génération ? Elle ressemble aux petits enfants assis dans les places publiques, et qui crient à leur compagnons, et disent : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des plaintes devant vous, et vous n’avez point pleuré. Car Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il a un démon. Le Fils de l’Homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un mangeur et un buveur, un ami des contrôleurs et des pécheurs. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants ». (Matthieu, 11, 16-19).
Les enfants ont un rapport à la vie fait de simplicité. Ils peuvent nous surprendre par les comportements qu’ils adoptent face aux situations de la vie. L’enfant sait se réjouir. Il sait aussi pleurer. Sa joie vient saluer avec force le retour du parent aimé. Sa compassion sait étreindre l’adulte qui retient ses larmes. L’enfant ne rationalise pas. Il est dans la vie. Pour lui chaque événement est une richesse à accueillir, une occasion de se réjouir, un chemin à parcourir. Contre l’esprit de sérieux qui souvent tient l’adulte dans des rôles prédéfinis, l’enfant nous invite à vivre la vie comme elle se présente : en accueillant joies et tristesses sans jamais s’arrêter de jouer. Dominique Savio à qui l’on demandait : « Que ferais-tu si, tandis que tu es en train de jouer, on venait t’annoncer que la fin du monde arrive ? » fit cette réponse pleine de sagesse : « Je continuerai de jouer »…L’observation du jeu de cache-cache qui semble comme appartenir à la nature des enfants est symptomatique de la recherche d’une présence qui se montre et se dérobe en permanence. De lui-même le petit enfant cache son visage devant l’autre pour vivre la joie ensuite du face à face. Un peu plus grand, il se cache en indiquant le lieu de sa cachette…Ce jeu « anthropologique » manifeste cette tension entre désir et rencontre. L’enfant s’éloigne pour qu’on le retrouve. Il invite l’autre à se cacher pour renouveler la rencontre. Sans cet espoir de la rencontre, le jeu devient souffrance…C’est parce que l’enfant sait qu’il sera retrouvé ou qu’il retrouvera que ce jeu est source d’une inlassable joie. Le Dieu caché (Deus absconditus) de la Bible semble nous donner quelques indications pour le retrouver : « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants… ».

6ème message : « Naître de nouveau »
« Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jean, 3, 3).
« Jésus répondit : En vérité, en vérité je te dis, que si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit. Ne t’étonne point de ce que je t’ai dit. Il faut que vous naissiez de nouveau » (Jean, 3, 5-7).
Jésus précise ici les choses. La ressemblance avec l’enfant qui réalise le Royaume de Dieu en nous passe par une nouvelle naissance. Comme toujours, la réalité concrète à laquelle renvoie Jésus dans son enseignement est un point de contact avec le message spirituel qu’il transmet. Les recherches récentes sur la naissance physiologique peuvent donc aussi nous éclairer sur les conditions de la nouvelle naissance spirituelle. La naissance physiologique, à l’image de la crèche de Bethléem, requiert du silence, de l’intimité, une faible lumière et de la confiance. Il s’agit de s’abandonner en lâchant prise. S’ouvrir à la vie exige de renoncer à vouloir tout contrôler. C’est là l’enseignement majeur de la naissance physiologique. Et c’est certainement là une piste pour s’ouvrir aux richesses du Royaume et naître à l’homme nouveau.

7ème message : « une louange parfaite »
« Mais les princes des prêtes et les scribes, voyant les merveilles qu’Il avait faites, et les enfants qui criaient dans le temple et qui disaient : Hosanna Fils de David ! s’indignèrent et ils Lui dirent : Entendez-vous ce qu’ils disent ? Jésus leur dit : Oui. N’avez-vous jamais lui cette parole : De la bouche des enfants, et de ceux qui sont à la mamelle, vous avez tiré une louange parfaite » (Matthieu, 21, 15-16).
La parole de Jésus est forte. Elle concerne la louange parfaite. Elle est prononcée dans le plus haut lieu de prière qui soit : le Temple de Jérusalem. Elle est adressée aux prêtres et aux scribes. Les « spécialistes » de la Liturgie et de l’Ecriture sont invités à entendre la louange des plus petits. Leur intuition spirituelle est plus juste que les raisonnements sophistiqués. Leur prière est « instinctivement » louange et action de grâce. Elle nous invite à redécouvrir la portée eucharistique de la grande prière du Christ. Leur « Théologie » non-conceptuelle est celle de la gratitude.  En cela, ils nous enseignent la « louange parfaite ».
 
8ème message : « la Révélation »
« En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que les as révélés aux petits enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi » (Matthieu 11, 25-26).
« En ce moment même, Jésus tressaillit de joie par le Saint-Esprit et il dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi » (Luc, 10, 21).
A nouveau dans ce passage, Jésus prend à rebours la sagesse des «intelligents » et rend grâce de ce que les plus petits bénéficient d’une révélation toute particulière. Les enfants semblent profiter d’une connaissance spirituelle supérieure à l’érudition spirituelle des spécialistes. Ils ont certainement un rapport plus simple au mystère de leur origine dont ils rendent grâce spontanément sans se perdre dans des dédales argumentaires.

Cette petite traversée évangélique nous permet de prendre conscience du regard que porte Jésus sur les enfants et de leur rôle dans l’avènement du Royaume. Les enfants, de part leur intuition spirituelle, sont porteurs d’un message anthropologique. Nos paramétrages adultes peuvent cependant nous empêcher d’en prendre conscience alors même que ce message est fondamental pour toute croissance spirituelle.

L’ensemble des textes étudiés ainsi que l’observation des enfants peuvent nous ouvrir quelques  pistes de réflexion. Tout d’abord l’enfant nous indique clairement que la religion est affaire de rencontre joyeuse et non de système de pensée. Bien entendu la réflexion théologique peut nourrir la prière. Mais sans cette disposition propre à l’enfance où se mêlent intuition profonde et désir de la rencontre, la pensée adulte coure le risque de tourner sur elle-même. Ensuite, l’observateur ne peut que constater que l’absence de pensée conceptuelle n’est pas une limite à la vie spirituelle. Bien au contraire, l’enfant en nous montrant une vitalité affective et spirituelle intense nous rappelle que le lâcher prise par rapport à l’usage de la raison est nécessaire au développement d’une vie de prière. Enfin, la joie de l’enfant est « eucharistique ». La « louange parfaite » dont parle Jésus est à rapprocher de sa prière eucharistique par laquelle toute l'histoire de la Création est assumée dans un acte d'Amour total.        

lundi 5 septembre 2011

L’ADN liturgique de la Bible

La Liturgie s’origine dans l’expérience ecclésiale que la communauté des croyants fait de la Révélation. Elle puise naturellement aux sources de la Bible pour irradier son noyau eucharistique et sacramentel. Toutes les formes liturgiques de l’Eglise empruntent leur schéma aux grandes prières d’Israël qui furent le pain quotidien des premiers chrétiens. Le contenu et le style biblique des prières de l’Eglise ne peuvent échapper, encore aujourd’hui, au croyant qui s’y réfère pour insuffler sa prière personnelle.
En revanche, devant l’ampleur de la Bibliothèque hébraïque et la variété de ses styles littéraires, le lecteur peut manquer de voir sa profonde portée liturgique. Pourtant, du Livre de la Genèse qui raconte la Création à la façon d’un poème liturgique au livre de l’Apocalypse qui clôt la Révélation dans une incandescence liturgique, les références à l’homo liturgicus traversent l’ensemble de l’Ecriture. A y regarder de près, les écrits sacrés sont si profondément informés par la vie liturgique qu’ils ne se saisissent bien qu’à travers elle dans leur unité comme dans leur finalité. Le signe abouti de l’Alliance est toujours liturgique. Ainsi, la liturgie est bien le sacrement du Royaume.

LE JARDIN D'EDEN TEMPLE DE LA RENCONTRE 
De nombreux textes de l'Ancien Testament, au delà de leur genre littéraire, possèdent une dynamique liturgique qui éclaire leur structure interne. Le texte de la Genèse, repris d'ailleurs dans la Liturgie du Samedi Saint, n'échappe pas à cette règle fondamentale qui atteste le modèle liturgique des écrivains sacrés.
Les similitudes entre le modèle de l'Arche que Dieu révèle à Moïse et le récit de la création permettent de lire la Genèse comme un texte liturgique et les passages de l'Exode (chap. 25 à 40) comme une nouvelle création. C'est d'ailleurs ce que fera Ezechiel dans une synthèse extraordinaire des traditions prophétiques et sacerdotales. Le travail créateur que Dieu propose au Peuple à travers Moïse (la construction de l'Arche) appelle le repos du sabbat comme écho parfait à l’œuvre achevé de YHWH (Ex, 35).

Le deuxième chapitre de la Genèse décrit d'ailleurs le jardin d'Eden en utilisant certains éléments que l'on retrouve dans le temple (pierres précieuses, or, etc). Un autre élément important vient confirmer cette assimilation du jardin d'Eden au Temple. Il s'agit du verbe hébreu utilisé pour traduire la présence de Dieu qui se "promenait dans le jardin". Ce verbe est utilisé ailleurs dans la Bible pour exprimer la présence de Dieu dans le tabernacle au milieu de son Peuple (Lev, 26, 12; Deut, 23, 15; 2 Sam. 7, 6-7).

Ezechiel, dans son oracle à l'encontre du roi de Tyr, rappelle la dignité royale du premier Adam en Eden vértitable jardin de Dieu (Ez, 28, 11-19). La faute du roi, à l'image d'Adam, est d'avoir voulu s'auto-saisir de la divinité. Cette faute est décrite comme une profanatation : "par la multitude de tes fautes, par la malhonnêteté de ton commerce, tu as profané tes sanctuaires (Ez, 28,18). Ces textes montrent à quelle point l'identité de l'homme, image de Dieu, est à la fois royale et sacerdotale. La gloire de Dieu se manifeste dans l'homme qui lui ressemble; la faute de l'homme s'énonce comme une désacralisation. La désobéissance ontologique d'Adam peut ainsi se comprendre comme une faute dans l'ordre de l'adoration. En voulant "dérober" le divin, l'homme s'exile de la présence de Dieu. Une lecture liturgique de la Bible peut ainsi nous aider à mieux saisir le drame anthropologique de la sécularisation. L' homo liturgicus, qui à travers l'adoration manifeste sa relation à Dieu, au cosmos et à lui-même, découvre l'au-delà des phénomènes et communie à la Source de toutes choses. En renonçant à sa vocation eucharistique, l'homme perd cette possibilité de connaissance et de communion. Le spirituel devient une option relaxante. La prière ne révèle plus alors le sens ultime de la création. Le monde n'a plus alors de levain.

EXODE ET PEUPLE SACERDOTAL
Un autre livre majeur de la Bibliothèque hébraïque vient confirmer la nature profondément liturgique des textes qui la composent. Dans la lutte qui l'oppose à Pharaon, Moïse reçoit ses instructions de YHWH. Le peuple hébreu doit quitter l'Egypte pour se libérer de l'esclavage qu'on lui impose et rendre un culte au vrai Dieu. Là  encore, l'Exode ne peut être saisi réellement sans sa dynamique liturgique. En le libérant du joug égyptien, YHWH veut faire de son peuple un peuple liturgique.Toutes les ordonnances qui viendront par la suite auront pour visée de rendre ce peuple apte à cette rencontre avec YHWH. L'alliance sur le Sinaï sera ratifiée par des actions liturgiques (serment de fidélité, sacrifices, lecture du livre de la Loi, etc). Une grande partie des ordonnances divines aura pour objet la réalisation du tabernacle, des vêtements sacerdotaux, les rubriques sacrificielles, etc). L'Exode est un texte intrinsèquement liturgique. Son ouverture est le rituel de la Pâques comme mémorial de la sortie d'Egypte; sa conclusion est la construction de la Tente du Rendez-vous.  Avant de recevoir les plans de construction, YHWW couvre le mont Sinaï de sa Gloire pendant six jour. Le septième jour, YHWH appelle Moïse au milieu de la nuée pour lui communiquer le modèle de construction. Les instructions sont délivrées au fil de sept chapitres qui rappellent la structure septénaire du récit de la Genèse. Moïse reçoit sur le mont Sinaï les plans de la nouvelle création. YHWH convie son Peuple à cette nouvelle réalisation. Il renouvelle son alliance dans un désir de communion avec sa création.

L'ARCHE, PRÉSENCE DE L'INVISIBLE
La Gloire de YHWH s'est manifestée dans un feu dévorant aux enfants d'Israël (EX, 24, 15-18). Dieu a voulu se manifester d'une façon toute particulière à Israël. Sa Présence a formé ce Peuple. Sa présence est appelée à le conserver. Dieu marchera avec son Peuple. "YHWH allait devant eux pour les guider dans leur chemin, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu qui les éclairait, de sorte qu'ils pourraient marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ne se retira point de devant le peuple pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit" (Ex, 13, 21-22).

Cette présence se manifestera finalement dans un lieu particulier: " Alors la nuée couvrit la Tente du rendez-vous, et la Gloire de YHWH remplit la Demeure. Et Moïse ne pouvait plus entrer dans la Tente du rendez-vous, parce que la nuée était dessus et que la gloire de YHWH remplissait la Demeure. Tant que durèrent leurs marches, les enfants d'Israël partaient lorsque la nuée s'élevait de dessus la Demeure; et si la nuée ne s'élevait pas, ils ne partaient pas, jusqu'au jour où elle s'élevait. Car la nuée de YHWH reposait pendant le jour sur la Demeure, et, pendant la nuit, il y avait du feu dans la nuée, aux yeux de toute la maison d'Israël, tant que durèrent leurs marches ( Ex, 40, 34-38).

Dans son ouvrage "La Bible et l'Evangile" Louis Bouyer montre comment cette Présence de YHWH se manifeste dans un lieu de plus en plus précis. "Dorénanvant, l'Arche apparaîtra comme le lieux précis de la Présence de YHWH. Plus exactement, c'est l'espace vide compris entre les Chérubins qui la dominent où YHWH  sera censé se tenir (Lev, 16, 2). (...) L'Arche est sacrée parce qu'elle est le lieu de la présence de YHWH. Mais sur son couvercle, sur le propitiatoire qu'on le situe. Aucun document, et ceux qui paraissent les documents de la tradition la plus primitive notamment, n'exprime ni ne trahit une autre conception. La meilleure manière de comprendre le symbolisme de l'Arche, ce n'est donc pas de s'arrêter à son aspect de coffre, mais d'y voir un trône, et un trône expressément vide. (...). Le sens de l'Arche au bout du compte c'est sans doute que le Peuple d'Israël est dominé par une Présence invisible". 


Le Livre des Chroniques montre à quel point le royaume de David est marqué par l'anthropologie liturgique qui informe l'ensemble de la Bibliothèque Hébraïque. Avant de mourir, David manifeste son Amour pour YHWH par une offrande liturgique destinée "à la Maison de mon Dieu". Cette offrande est suivie d'une prière d'action de grâce (eucharistique) à la façon des plus grandes prières d'Israël. Cette prière est comme un ultime écho à cette autre prière majeure du Roi liturge que l'on présente d'ailleurs comme le paradigme des prières d'Israël. Dieu y est loué et remercié pour les grandes œuvres de sa création et pour ses interventions salutaires. Cette hymne récapitule toute la théologie de l'adoration que nous trouvons par ailleurs dans les Psaumes. ( 1, Chr. 16, 7-36).

LE MONDE NOUVEAU
Le Nouveau Testament se situe totalement dans cette continuité anthropologique et liturgique. Les grands thèmes de l'ancienne alliance reçoivent ici leur achèvement définitif. La Création, l'Exode, la Pâques, le Temple et le Royaume trouvent dans la personne du Christ leur accomplissement. La première lettre aux Corinthiens manifeste le monde nouveau issu de la résurrection. En Jésus se développe une humanité nouvelle. L'homme psychique laisse place à l'homme spirituel (1 Cor, 15, 45-49). La montée du Christ vers Jérusalem annoncée après la Transfiguration est décrite comme un Exode (Luc, 9, 31). La mort sur la croix est comprise comme étant le véritable sacrifice pascal (Jean, 1, 29-33; 19, 14; 1 Cor. 5, 7). L'Eglise est le nouvel Israël, le Peuple nouveau constitué de pierres vivantes pour l'édification d'un temple spirituel (1 Pierre, 2, 9-10). Le nouvel Exode du Christ ouvre le chemin pour l'établissement d'un royaume de prêtres comme le prévoyait les ordonnances délivrés lors du premier Exode. L’œuvre rédemptrice consacrent des croyants pour participer à la vie d'un royaume inébranlable dont le mode de vie est liturgique (Heb, 12, 28).
L'Evangile selon saint Jean se déploie au rythme des fêtes liturgiques juives. L'intention de l'auteur est bien évidemment de montrer que le Christ est la réalisation ultime de ces pèlerinages liturgiques. Plus encore, l'organisation de son récit fait apparaître une dynamique d'enseignement de nature mystagogique. Tout le ministère de Jésus s'articule autour de "signes" qui sont une invitation à comprendre la nature du royaume céleste à partir des éléments du cosmos. Les auditeurs de Jésus butteront en permanence sur ces "signes" voulant en permanence les réduire à leur élément simplement terrestre. Le paroxysme de cette incompréhension aura lieu lors du discours du Pain de vie quelques temps avant la Pâques. Lorsqu'après avoir rassasié la foule, Jésus se déclarera "le pain de Dieu", le scandale sera à son comble (Jean, 6, 41).

Pour permettre à ses lecteurs de comprendre l'enseignement par les "signes" de Jésus, saint Jean les relie systématiquement aux fêtes liturgiques qui permettent d'en saisir la portée ultime. Un très bel exemple se retrouve au chapitre 9 qui représente une véritable catéchèse baptismale de type mystagogique (initiations aux mystères à partir des signes liturgiques). Il s'agit de la guérison d'un aveugle-né qui se situe dans le temps qui précède la Fête des Tentes. Cette fête se caractérise par une double cérémonie de l'eau (puisée dans la piscine de Siloé pour être versé à la base de l'autel dans le Temple) et de la lumière (grâce à d'énormes menorahs allumés dans la cour du Temple). La guérison se situe après que Jésus ait déclaré être la lumière du monde. Jésus invite ensuite l'aveugle à se rendre à la piscine de Siloé. L'aveugle en revint en voyant clair. Pour les premiers chrétiens, l'intention de saint Jean ne fait pas de doute. Les eaux du baptême offrent au nouveau fidèle une profonde illumination: celle de la Lumière du monde.

Cette théologie du signe liturgique omniprésente en saint Jean est sans aucun doute la source majeure de toute la théologie liturgique et mystagogique des premiers siècles. Elle est ainsi la matrice des grandes liturgies traditionnelles pour qui les signes (symboles) liturgiques sont rien moins que la réalité dans sa plénitude: celle que confère la vie du Christ. L'eau ne perd pas sa fonction naturelle vitale dans le baptême; elle trouve dans ce sacrement sa finalité ultime qui est de procurer la vie du royaume. Le "pain de vie" ne perd pas sa fonction nutritive dans le sacrement de l'eucharistie; mais il trouve son achèvement suprême dans le Christ eucharistié dont l'Amour devient notre pain. La lumière du soleil, ne perd pas sa fonction naturelle dans l'expression cosmique de la sainte Liturgie; mais la lumière du soleil trouve son achèvement suprême dans le Christ qui illumine tout homme, l'Eglise et le cosmos. Dans le Christ, le cosmos retrouve sa vocation: il est à nouveau le symbole réel de la Gloire de Dieu. La liturgie sacramentelle est ainsi l'épiphanie de la continuité restaurée entre Dieu et sa Création.

Le Nouveau Testament se clôt avec l'Apocalypse de saint Jean, texte éminemment liturgique, que l'auteur reçoit "le Jour du Seigneur" (Apo, 1, 10). Ce que dévoile ce livre, dont les images s'inspirent des plus grandes fulgurances de l'Ancien Testament, c'est la consommation liturgique et cosmique de l'histoire humaine dans le Christ. Les visions de saint Jean décrivent le Royaume eucharistique dans lequel hommes, femmes et anges se nourrissent de l'adoration du vrai Dieu. Le texte se déploie dans un style liturgique où s'entremêlent des hymnes, des exhortations, des antiennes pour alimenter la vie de la Jérusalem nouvelle. Sous ce ciel nouveau, sur cette terre nouvelle, le monde se révèle comme un nouveau Temple cosmique où le Peuple des consacrés, en suivant le Christ dans son Exode, devient une famille royale et sacerdotale issue de l'Alliance de Paix et d'Amour. 

La liturgie, telle que nous la présente l'ensemble de l'écriture, n'est autre que l'apprentissage et la participation à la Vie dans le Christ ressuscité.